LA FACE OBSCURE DE L'ORTE (LEVENS)

Publié le par les perdigones

Le choix d’un lieu improbable pour la construction d’immeubles va de pair avec des méthodes de plus en plus opaques. Enquête
     Cela s’est passé cet été. Le 9 juillet, le bureau de la métropole Nice Côte d’Azur se préoccupe à nouveau de L’Orte. Parmi les cent votes pris en une heure (et oui ça se passe comme ça), il accorde au constructeur (la Phocéenne d’Habitation)  une subvention supplémentaire de 300 000 euros.
    La raison ? « Au vu des études hydrogéologiques réalisées et des conclusions de l’expert, des travaux de consolidation s’avèrent nécessaire pour mener à bien la réalisation du programme entraînant, de fait, un surcoût financier ».
 
LA DELIBERATION, ATTAQUEE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
       Or aucun rapport, aucune étude n’était versée avec la délibération.  
       Rien qui puisse éclairer les élus. Pire, les pièces, qui pourtant existent bien, sont accablantes pour tout projet de construction en ce lieu.
     La conseillère métropolitaine  Emmanuelle Gaziello (Front de Gauche) est intervenue auprès du Préfet et de la Métropole Nice Côte d'Azur, pour demander l’annulation de cette délibération. Compte tenu des réponses, elle a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Nice. La présidente de l’association « Les Perdigones » s’est jointe à la procédure.
       Quelle que soit la décision que prendra  la justice, il est particulièrement significatif d’examiner ce qui s’est passé. Les nouvelles pièces que nous versons à l’examen de chacun ne manqueront pas d’inquiéter sur les dérives de quelques élus. On n’ose pas imaginer ce qui se trame, se manigance lorsque les enjeux sont bien plus importants.
       Avant de démontrer et démonter ce nouveau tour de passe- passe, revenons un peu sur le lieu de l’Orte et le projet en question.
 
UN  DOSSIER DE PLUS EN PLUS TORDU
      L’Orte c’est ce paysage remarquable (terrasses en restanques, murs en pierres sèches, irrigués de sources, de ruisseaux) situé à 3 km du village de Levens (Alpes Maritimes). Un lieu où l’eau omniprésente (bassins, puits, canaux), est un atout. C’est pour cela que les anciens cultivaient là. Le lieu tire d’ailleurs son nom de cette activité ; uort, ortaria, orte signifie potager en de nombreuses langues. Mais l’eau, par très fortes précipitations  pose problème. Elle arrive de toute part, des côtés, de dessus, et d’en dessous, sortant par résurgences.
      Ces phénomènes observés, décrits, ont été confirmés et analysés par deux études d’un hydrogéologue, rendues fin 2010 et fin 2011.
      Cela s’est déroulé suite aux observations émises en 2009 lors de l’enquête publique du Plan de Prévention des Risques Inondations de Levens.
     Le PPRI a finalement été approuvé cet été 2012 (il s’en passe l’été…) par le préfet (celui qui est parti), il identifie dorénavant la zone comme, à risque « inondation par venue d’eau de versant ». Une partie est portée au zonage en rouge "inconstructible", une autre en bleu foncé, « constructible avec certaines prescriptions ».
       Des associations (Les Perdigones, FARE SUD, des habitants) contestent certains points des prescriptions de ce PPRI, qu'ils jugent insuffisants, sur cette zone, mais aussi sur d’autres. Ils ont dorénavant recours aux voies judiciaires, nous y reviendrons ultérieurement. 
 
PLUS DE SURFACE IMPACTÉE,
PLUS CHER,
ET MOINS DE LOGEMENT SOCIAL
       C’est sur ce lieu que le maire de Levens (Antoine Véran) a décidé en 2008 de construire des immeubles. La surface impactée varie de 5500 m2 au début à 9000 m2 aujourd’hui. Le type de logements varie aussi. D'un projet de 27 logements « sociaux » on est passé à 18, pour un total inchangé de 35 logements.
 
       Or ces terres riches en biodiversité sont en discontinuité d’urbanisation.  Les documents d’urbanisme versés au dossier de présentation du  Plan Local d’Urbanisme, reprenant une carte de la DTA (Directive Territoriale d’Aménagement), le précisent eux même et montrent que ce sont l’une des dernières, et rares, terres arables de la commune.
       Pour confirmer l’aberration du choix de ce lieu pour construire, il existe bien les deux études de l’hydro géologue, mais aucune publicité n’en a été faite. Et pour cause. Quand on les lit, on comprend que persister à vouloir construire là, relève d’un pari très dangereux. Dangereux pour les biens et les personnes, surtout ceux situés à  l’aval.
      Un pari très coûteux aussi. Car les travaux ne sont pas de « consolidation » comme cité sans justification dans la délibération de la métropole. Si travaux il y avait, ils sont définis dans les études comme devant intervenir aussi à l’extérieur du site, et qui plus est "sans garantie de résultat".
       A la lecture des études de l’hydrogéologue, il apparaît comme évident que les 300 000 euros demandés en sus, dans la délibération du bureau métropolitain, bien qu’importants pour le contribuable, sont ridicules par rapport au problème. Une fois de plus il est procédé, avec cette délibération, à un déni de plus sur la teneur du risque. 
       Le permis de construire, déposé en 2009, a été recalé par les services de l’Etat, les études de l’expert confirment les risques et envisagent même des sinistres (p 26 de la seconde étude, oct 2011). Tous ces éléments auraient du inciter à la sagesse et à la réflexion. C’est le contraire qui s’est produit. Le maire de Levens essayant par tous les moyens de rendre son projet acceptable.
       Bien sur, il a usé et abusé de l’argument du logement social, alors qu’en vingt ans de mandat aucun n’est sorti de terre, pendant qu’il signait 800 permis de construire et maintenait les 35 logements communaux en loyer libre.
       Mais il fit pire. C’est ce qu’on découvre à la lecture de la 2ème étude de l’expert. Faut-il rappeler que celle-ci fut faite à la demande de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) et qu’lle a été livré en octobre 2011.
 
« DE GRANDES INCERTITUDES SUR LA FIABILITE » 
       On le découvre, mais pas grâce à la Métropole. Lorsque Mme Gaziello s’est inquiétée des conditions de la prise de décision pour la délibération à propos de l’Orte, elle a demandé ce fameux rapport à la Métropole. 
       Un rapport arrive bien chez Mme Gaziello, ainsi qu’un courrier de la Métropole signé de Mme Estrosi Sassone (déléguée au logement et à la cohésion sociale).
       Un rapport, mais pas le bon, en tous cas, pas le dernier en date. C’est en effet le 1er, celui de Novembre 2010 qui lui est fourni. A l’étude de ce rapport (que les élus n’ont pas eu), on ne voit pas bien comment on peut en tirer des prescriptions de constructions et encore moins déterminer le coût de travaux. On ne voit pas bien non plus ce qui justifie de baisser le nombre de logements sociaux à 18 (contre 27 auparavant). 
       Par contre ce que l’on comprend, c’est qu’il est risqué de mettre des immeubles là. Voilà ce qu’on y lit, par exemple. «  Il n’est pas possible d’enrayer par des dispositions adaptées les processus naturels qui conduisent à l’ennoiement du bas-fond et aux apports de versant lors des conditions pluviométriques soutenues. Il apparaît en outre très difficile de se prémunir contre de tels évènements par des aménagements et des protections uniquement implantées sur l’emprise du site affecté à l’urbanisation ». Plus loin il est clairement affirmé l’incertitude des résultats d'éventuels travaux :« Seule une profonde tranchée drainante pourrait éventuellement améliorer la situation, mais avec de grandes incertitudes sur sa fiabilité ».
 
"DES SINISTRES SONT A CRAINDRE"
       Mais depuis ce premier rapport, il y a eu du nouveau. Et cela est consigné dans un second rapport, du même auteur, plus complet encore.
       Pourquoi Mme Estrosi Sassone ne transmet-elle pas à Emmanuelle Gaziello  (et à plus forte raison aux autres élus avant leur vote) ce rapport, qui figure pourtant dans la bibliographie du Plan de Prévention des Risques Inondations, qui vient tout juste d'être adopté ?
       Ce qui est sûr c’est que cette étude (commandée par les services de l’Etat) éclaire d’un nouveau jour, cette question de l’Orte.
      On y apprend par exemple (page 26) que « des difficultés et des sinistres sont donc à craindre dans ces secteurs…. »
     Ah bon et on veut continuer à construire là ?
 
LES PREUVES DES PRESSIONS DU MAIRE DE LEVENS
      Mais ce qui est instructif c’est l’attitude du maire de Levens, décrite en introduction du deuxième rapport. Voilà ce qu’on peut lire page 2:
« Sur demande de mes clients (NDLR la Phocéenne d’Habitations et L’Etablissement Public Foncier PACA propriétaire des terrains) j’ai ensuite participé le 26 janvier 2011 à une réunion sur ce sujet en mairie de Levens, au cours de laquelle j’ai ensuite rapidement présenté la méthode utilisée, les résultats obtenus et les inconnues résiduelles. Le Maire Antoine Véran, et son adjoint à l’Urbanisme et aux travaux, Mr Jean Pierre Frazzo, ont abondamment critiqué mes résultats, d’ailleurs avant même que je les expose à l’assemblée, ce qui a notablement altéré la sérénité du débat.... Par la suite, le Maire de Levens a transmis un courrier au Préfet des Alpes Maritimes le 14 mars 2011, dans lequel il reprend les principales critiques formulées à mon égard lors de la réunion précédente. »
 
        Nous publions le courrier du maire de Levens au Préfet en date du 14 mars 2011, (ICI), il fait partie des annexes de cette deuxième étude. Lettre calomnieuse s’il en est.
      Calomnieuse envers les travaux de l’expert à qui il est reproché d’ « avoir instruit une étude à charge, avec pour postulat qu’il était nécessaire de trouver dans la géologie et l’hydrologie de la zone concernée le moyen de justifier les photos de Mme Masseglia »
       Et bien entendu le maire est un grand expert de ces questions,  Il a nié  le risque de l’eau à l’Orte pendant des années, et jusque devant la communauté urbaine  . Et rappelez-vous, ce n'est pas la première fois, il y a quelques années en arrière, il s'était autoproclamé "expert" pour déterminer les conditions du comblement illicite du "vallon de la Cumba", et la pose de ses busages aléatoires .
     Après avoir nié la réalité pendant des années, après s'en être pris à l'expert hydrologéologue, l'élu n'hésite pas à expliquer dorénavant les phénomènes d’inondations, en portant des accusations graves à l'encontre des riverains, ce sont eux qui auraient "bouché des ruisseaux", .
       Et pour appuyer sa thèse ("il n’y a pas d’eau à l’Orte"), il trouve un autre argument choc, il fournit des photos et un procès verbal d'un policier municipal, qui démontrent qu’en effet, l’Orte n’est pas inondé... lorsqu’il ne pleut pas beaucoup...  une évidence! 
 
      Nous  publions la réponse de l’expert (ICI),  elle fait, elle aussi, partie des annexes de sa deuxième étude; il ne s'en laisse pas compter. Il lui est facile de remettre le débat sur le terrain de la réalité et de balayer l’accusation de parti pris. Il a rencontré des personnes supplémentaires, certaines, sur la demande du maire, (cette liste fait partie des annexes de sa deuxième étude).  
       Et la totalité de ces témoignages, plus des observations nouvelles sur le terrain, conduisent au rapport n° 2 qui, comme on le sait, est plus dur que le premier.
page de garde web
   On comprend mieux pourquoi cet été (et oui encore l'été...) le maire a cherché une fois de plus à faire pression, en interpellant, en appelant à la justice  Comment ? Par une calomnie de plus par l'entremise d'un article de Nice Matin, où les associations étaient accusées de faire des recours ???? pour les négocier. Nous avions répondu par un article:" Levens (06): projets en panne, attaque infâme".
 
  LES CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES....A LA TRAPPE
     C'est le leitmotiv de cette municipalité qui explique que les questions d'environnement ne sont que des prétextes pour les opposants à ce projet. Le rêve de ces élus là, c'est d'avoir les mains totalement libres et de se passer de beaucoup de prescriptions. C'est d'ailleurs un quasi chantage. "Si vous voulez que je fasse des logements sociaux (ndlr: dommage que la municipalité confonde logement social et immeubles), je les fais où je veux et ne m'embêtez avec vos règles ". Le chantage est très clairement à destination des autorités et les pressions aussi. 
     En effet pour faire des immeubles là, il faut faire fi de beaucoup de règles qui existent, des règles d’environnement, d’urbanisme, de prise en compte des risques... Faire fi des règles ou les adapter...Et il faut faire fi d’une autre règle, non adaptable en ces temps de "crise", qui veut qu’on ne choisit pas de faire une opération de ce type, là où ce sera le plus coûteux pour la collectivité.

 

Publié dans Urbanisme, inondations

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Y
<br /> Vous n'avez pas encore compris qu'ils détiennent le pouvoir, même avec la justice ils sont de connivence. En tant que Présidente comité de défense, nous n' arrivons à rien sur St André par<br /> rapport à l'urbanisation. Les enjeux pour eux sont trop importants, et nous n'avons pas d'argent pour les voies judiciaires. Je suis dégoutée, on se bat pour rien, ils nous font juste<br /> croire........que l'on a un pouvoir de décision.......en fait il n'en est rien. Si le PLU ne leur convient pas, ils en refont un autre à leur convenance.....Cependant je soutiens totalement votre<br /> action.<br />
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L
<br /> <br /> On comprend bien votre état d'esprit. Et c'est vrai qu'ils ont beaucoup de moyens, de pouvoir, qu'il n'est pas simple de se faire simplement entendre, alors intervenir dans l'aménagement du<br /> territoire, vous n'y pensez pas... Ouais, nous notre moteur c'est de ne pas laisser faire n'importe quoi et dans notre cas présent on est sur du grand n'importe quoi. Bien sûr on a d'autres<br /> éléments, qu'on ne publie pas encore et qui sont terribles pour nos grands décideurs locaux. On ira jusqu'au bout de cette affaire même si l'on sait bien que dans ce monde là rien n'est sûr.<br /> Merci de votre soutien et bon courage à vous<br /> <br /> <br /> <br />